Bon anniversaire !
L’ouverture de ce blog coïncide à quelques jours près avec un anniversaire, celui des dix ans de la loi de 2001 sur l’archéologie préventive (cf aussi : http://www.inrap.fr/archeologie-preventive/Actualites/Communiques-de-presse/Les-derniers-communiques/Communiques-nationaux/p-12487-La-loi-sur-l-archeologie-preventive-a-dix-ans-le-1.htm). Celle-ci fut en effet promulguée par le président de la République d’alors le 17 janvier 2001, après que le Conseil Constitutionnel l’eut déclarée, la veille, conforme à la constitution. Le vote définitif avait eu lieu le 20 décembre 2000 à l’Assemblée nationale, après plusieurs navettes entre le Sénat (alors dans l’opposition et qui refusait certains de ses aspects) et l’Assemblée, où le premier débat s’était ouvert le 22 février 2000 – débats sérieux et passionnants qu’il convient de relire. Le troisième millénaire s’ouvrait ainsi en fanfare pour l’archéologie française, puisque cette loi était sur plusieurs points historique. C’était en effet la première fois dans l’histoire du pays que l’Assemblée nationale débattait d’archéologie : la « loi » dite de 1941 soumettant toute fouille archéologique à autorisation n’était en effet qu’un décret, à l’époque où le Parlement était suspendu, même si elle fut ensuite validée en 1945 ; de surcroît, elle ne couvrait qu’un aspect de l’archéologie. Mais la nouvelle loi était aussi l’aboutissement du combat de toute une génération d’archéologues, la génération du baby boom et de mai 1968 qui, dès le début des années 1970, s’était insurgée contre les destructions massives que subissait le patrimoine archéologique français tout au long des fameuses Trente Glorieuses.
Trente ans de luttes pour l’archéologie
On peut dater le début de cette offensive de l’article paru en septembre 1974 dans la revue La Recherche sous la signature de Alain Richard (pseudonyme de Alain Schnapp) et d’une journaliste de la revue, et intitulé « L’archéologie française en crise » ; La Recherche le republia d’ailleurs en septembre 2004 dans sa rubrique « il y a 30 ans » (http://www.larecherche.fr/content/recherche/article?id=3002). Le pseudonyme s’imposait alors, et on a peine à imaginer maintenant la chape de plomb que faisait peser sur la profession la génération alors aux affaires, satisfaite pour l’essentiel d’un système paisible où des réseaux d’archéologues amateurs venaient apporter humblement le fruit de leurs trouvailles arrachées bénévolement aux lames métalliques des bull dozers sur des chantiers que rien ne pouvaient interrompre. C’était l’époque où Paul-Marie Duval régnait sur le Conseil supérieur de la recherche archéologique et où Michel Fleury, Directeur des Antiquités pour Paris et l’Ile de France, laissait se creuser un peu partout les parkings souterrains et partir dans les bennes le forum romain de la rue Soufflot, le cœur de l’ile de la Cité ou encore le cimetière des Saints-Innocents aux Halles.
Nous avons commencé à raconter ces trois décennies de luttes à l’occasion d’un colloque organisé conjointement en février 2008 par l’INHA et l’Inrap, « La fabrique de l’archéologie », luttes marquées par de réguliers scandales à l’occasion des destructions les plus visibles et par l’action inlassable de pionniers au sein des Directions des Antiquités du ministère de la Culture, devenues des Services régionaux de l’archéologie, comme on put le voir dans la région Rhône-Alpes, en Lorraine ou encore en Picardie, entre autres. Si aucun des gouvernements successifs ne décida jamais de mettre en route une politique de sauvetage digne de ce nom, du moins laissèrent-ils faire et ne désavouèrent-ils jamais, sauf exception, leurs agents téméraires. Ainsi, au fil de crises répétées, grèves, manifestations, pétitions, occupations de locaux, campagnes de presse et dizaines de rapports (depuis le rapport Soustelle de 1975), l’archéologie préventive entra-t-elle petit à petit dans les mœurs, mais pendant longtemps dans un vide juridique total, aucune loi n’obligeant les aménageurs à payer pour les fouilles, comme le rappelèrent de temps à autres quelques décisions de justice isolées. C’est ce vide que vint combler la loi de 2001, après une nième crise à l’automne 1998 et la rédaction du rapport Demoule-Pêcheur-Poignant, dû d’ailleurs pour l’essentiel à la compétence juridique et politique de Bernard Pêcheur (consultable sur : http://www.inrap.fr/archeologie-preventive/L-archeologie-preventive/Un-peu-d-Histoire…/p-310-De-l-archeologie-de-sauvetage-a-l-archeologie-prev.htm). Cet aboutissement, au terme de presque trente ans de luttes, bénéficia de la convergence de trois facteurs décisifs, pour une fois réunis au même moment : le rapport de force institué par la mobilisation de tous les archéologues toutes institutions confondues, et en particulier de leurs organisations syndicales, lassés de décennies d’atermoiements et consternés devant la proposition de mise en concurrence commerciale de l’archéologie ; la solution législative rationnelle et élégante proposée par Bernard Pêcheur (et qui fut avalisée ensuite aussi bien par le Conseil Constitutionnel que par la Commission de Bruxelles), solution à laquelle aucun gouvernement ne s’était jusque-là sérieusement attelé ; et enfin des relais politiques directs dans le gouvernement d’alors.
Contre-offensive
« Champagne ! » titrait en 2002 la revue « Les Nouvelles de l’Archéologie » que nous avions fondés à quelques uns en 1979, la trentaine à peine atteinte, avec le soutien de la Maison des Sciences de l’Homme et de Clemens Heller. « Champagne », puisqu’une nouvelle ère s’ouvrait, avec la mise en œuvre de la nouvelle loi et la création de l’Inrap, que scellait un colloque tenu à Lyon en février 2002, sous les auspices du Conseil national de la recherche archéologique et de son vice-président, Michel Gras : « Archéologues et aménageurs, un partenariat pour demain ». Pourtant il fallut très vite déchanter. La mise en place du nouveau système coïncidait avec la campagne présidentielle de 2002, toute activité était suspendue dans les ministères, alors qu’il eut fallu une forte pédagogie en direction des élus et des aménageurs. Des régions entières où l’archéologie préventive était inconnue la découvraient brusquement. Classée donc « à gauche », la loi de 2001 fut contestée dès l’été 2002 par la nouvelle législature. Le marquis Henri de Raincourt (actuellement ministre de la Coopération) au Sénat, Charles-Amédée du Buisson de Courson, Pierre Méhaignerie et surtout Daniel Garrigue à l’Assemblée nationale se déchainèrent (j’en ai publié en 2005 un bref florilège dans le livre L’archéologie, entre science et passion). La difficulté supplémentaire venait du calcul de la taxe que proposait la loi de 2001 et qui, comme toute disposition fiscale, réclamait à l’usage d’évidents ajustements. Mais ce qui aurait été réglé en temps normal par un simple amendement parlementaire devint une affaire politique, l’archéologie déclenchant dans la majorité parlementaire nouvelle une agressivité sans commune mesure avec la réalité économique de l’enjeu. De cela, d’ailleurs, il faudra reparler en détail.
Après six mois de crise intense et tractations, fut finalement adoptée la loi dite de 2003, loi de compromis puisqu’elle réaffirmait l’existence de l’Inrap (qui avait été explicitement menacée), maintenait un monopole public pour les diagnostics archéologiques et conservait le principe d’une redevance d’archéologie d’une part ; mais elle instituait d’autre part, de manière volontariste et idéologique, la concurrence commerciale en archéologie, avec quelques gardes-fous : agrément préalable des entreprises, lesquelles ne peuvent dépendre d’un aménageur, cahier des charges scientifique rédigé par les Services régionaux de l’archéologie, chargés d’en surveiller l’exécution, centralisation des rapports de fouille par l’Inrap. Cette « concurrence » en matière d’archéologie était d’ailleurs un détournement, ou au moins un contre-sens, du dogme bruxellois de la « concurrence libre et non faussée » : la concurrence est sensée permettre, si le consommateur est correctement informé (ce que conteste le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz) et s’il n’y a pas d’entente entre les opérateurs (comme il arrive fréquemment dans les travaux publics ou les télécommunications, entre autres), d’acquérir un produit selon le meilleur rapport coût/profit. Mais ce n’est pas le cas de l’aménageur : celui-ci n’essaie nullement d’ « acheter » la meilleure archéologie possible, mais seulement que son terrain soit « purgé » des vestiges archéologiques le plus rapidement possible et au moindre coût. C’est pourquoi l’archéologie commerciale a donné des résultats fort contestables à terme dans les pays où elle existe.
Deux urgences
Qu’en est-il maintenant, huit ans plus tard ? Si bien des points mériteraient discussions, deux dossiers décisifs et fondamentaux doivent dans l’immédiat retenir l’attention :
1) La réforme du financement : La redevance d’archéologie préventive (RAP) instituée par la loi de 2003 a un rendement notoirement insuffisant (elle rapporte entre 40 et 60 millions d’euros, au lieu des 80 à 100 prévus et nécessaires). Une mission de l’Inspection des finances a été diligentée pour la réformer (et la simplifier), et son rapport a été remis le 18 octobre 2010. Toute la question est de savoir si les autorités de tutelle, qui ont en charge la protection de notre patrimoine archéologique national, auront la capacité et la compétence pour le mettre en œuvre. C’est pourtant ce que réclamait le sénateur Yann Gaillard le 16 novembre dernier, lors de l’examen du budget du ministère de la culture devant le sénat (http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20101115/finc.html#toc5). On notera d’ailleurs le commentaire révélateur du président de la commission des finances du sénat, Jean Arthuis, ancien ministre des finances, s’écriant dans cette même séance à propos du déficit de l’Inrap : « On en sort pas ! », comme si le calcul déficient de cette redevance fiscale était du à l’établissement public et non à ceux qui l’avaient voté, et concluant à la fin du débat : « Mais l’archéologie est-elle un investissement d’avenir ? » … Ce qui nous ramène aux remarques précédentes quant aux rapports des hommes politiques français au passé de leur propre pays.
2) Comme il était prévisible, les premiers effets scientifiquement nocifs de la concurrence commerciale en matière d’archéologie, tels que les connaissent par exemple depuis longtemps les Etats-Unis, mais aussi la Grande Bretagne, commencent à se faire sentir. Certains ont d’ores et déjà été signalés publiquement. Fouilles inachevées, devis renégociés alors que le coût bas initial avait permis d’emporter le « marché », droit du travail malmené, documentation dispersée en cas de faillite, etc, ces faits, entre autres, réclament pour le moins un examen et un débat publics. Certes les personnes ne sont pas en cause : ni les archéologues sur le terrain, évidemment, qui passent d’un contrat précaire à l’autre, ni même les responsables de ces entreprises, la plupart archéologues à l’origine, mais pris à terme, quelles que soient leurs intentions de départ, dans une logique purement économique. C’est à la communauté scientifique de réagir après ces dernières années de silence ou d’attente. D’autant que certains de nos collègues, certes minoritaires, des services régionaux de l’archéologie ont parfois tendance, au-delà des directives de leur ministère, à jouer à « diviser pour régner », voire à faire preuve d’une bienveillance excessive envers les comportements de certaines entreprises privées, au détriment même d’une « concurrence libre et non faussée ». On objectera que la mise en concurrence commerciale fut une volonté du législateur. Mais les trente ans, et maintenant quarante ans, des combats des archéologues se sont faits malgré l’absence de toute volonté politique. Comme me le faisait remarquer un membre éminent du Conseil constitutionnel à propos de la loi de 2003 : « Ce n’est pas parce qu’une loi est idiote, qu’elle est inconstitutionnelle ! ».
Il importe désormais d’œuvrer pour ramener la rationalité et le bon sens dans un dispositif dont la justification n’a jamais été scientifique mais purement idéologique. De cela tous les archéologues français seront comptables, à charge pour eux de prouver encore un peu plus l’utilité sociale, culturelle et scientifique de leur discipline.
Quelques références :
Cumberpatch, C.G. & Blinkhorn, P.W., 2001. Clients, contractors, curators and archaeology: who owns the past ? In M. Pluciennik (ed.) The Responsibilities of Archaeologists. BAR (International Series) S981. Oxford: Archaeopress, pp. 39-46.
Demoule J.-P. & STIEGLER B. (eds) 2008. L’avenir du passé, modernité de l’archéologie, Actes du colloque du Centre Georges Pompidou (novembre 2006), La Découverte, Paris, 250 p.
Demoule (J.-P.) & Landes (Chr.) (eds) 2009. La fabrique de l’archéologie, Actes du colloque organisé par l’INHA et l’Inrap, février 2008, Éditions de La Découverte, Paris, 302 p.
Schlanger N. & Aitchison K. (eds). Archaeology and the global economic crisis – Multiple impacts, possible solutions. Culture Lab Editions, Bruxelles, p. 13-18. [http://ace-archaeology.eu/fichiers/25Archaeology-and-the-crisis.pdf.]