L’archéologie des autres

On sait que l’Inrap a récemment publié en coédition, sous la direction de Nathan Schlanger et de Anne-Christine Taylor, les actes du colloque sur « La préhistoire des autres – perspectives archéologiques et anthropologiques », qui s’est tenu au Musée du Quai Branly en janvier 2011.L’intérêt de ce colloque a été de confronter les approches des ethnologues et des archéologues dans l’étude des sociétés, et de décloisonner la préhistoire européenne en la confrontant à celle de l’ensemble du monde. De ce point de vue, on est bien dans l’ « histoire globale », telle qu’elle s’est récemment développée et telle que la promeut en France la revue Sciences Humaines, dans son blog (http://www.histoireglobale.com/) comme dans sa récente synthèse Une histoire du monde global. Comme il a été rappelé en conclusion du colloque par Michael Rowlands, les deux plus récents ouvrages de Jack Goody constitue aussi des contributions essentielles dans ce recadrage : Le vol de l’histoire – Comment l’Europe a imposé le récit de son histoire au reste du monde (Gallimard, 2010) et The Eurasian Miracle (Polity Press, 2010).

            World Archaeological Congress versus UISPP

En janvier 2013 s’est tenu en Jordanie, sur les bords de la Mer Morte et dans le calme apparent (éphémère ?) de ce pays limitrophe de toutes les tourmentes arabes et proche-orientales, la 7ème édition du World Archaeological Congress (WAC). On se souvient peut-être que cette institution est née en 1986 lorsque certains dirigeants de l’Union Internationale des Sciences Historiques et Préhistoriques (UISPP), qui devait tenir son congrès à Southampton en Grande-Bretagne, refusèrent d’y interdire la participation d’archéologues d’Afrique du Sud et de Namibie. En effet, tout un arsenal international de sanctions s’était mis peu à peu en place à cette époque contre l’apartheid qui régnait alors en Afrique du Sud, et l’exclusion des scientifiques sud-africains (quelles qu’aient pu être par ailleurs leurs sensibilités politiques) en faisait partie.

Il paraissait en effet difficile de considérer, par exemple, que l’on pouvait traiter doctement de sciences humaines, lesquelles supposent une certaine idée de l’universalité, tout en fermant les yeux sur un régime politique officiellement raciste. Peter Ucko fit le récit éclairant, où certains préhistoriens français n’apparaissent pas à leur avantage, des vicissitudes et polémiques qui menèrent, par scission de l’UISPP, à la création du WAC : Academic Freedom and Apartheid: The Story of the World Archaeological Congress (Duckworth, 1986). Avec un humour on l’espère involontaire, les responsables restants de l’UISPP décidèrent alors de tenir à Mayence en Allemagne le congrès de leur organisation, une nation qui, en matière de politique raciale (puisque tel était la cause de la scission), avait une histoire quelque peu chargée.

L’UISPP, qui avait pris en 1954 la suite du « Congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistorique » fondé en 1866 et dont la langue unique de communication fut en ses débuts le français, continua de tenir ses propres congrès toutes les quatre ou cinq années. Chacun s’accorde à reconnaître que le dernier, celui de Florianopolis au Brésil en 2011, fut un fiasco retentissant, au moins du point de vue de l’organisation. Le prochain aura lieu à Burgos en 2014. Dans son livre, Peter Ucko définissait l’UISPP comme « un dinosaure qui continue à chercher à manipuler la situation internationale en fonction d’idées archaïques et occidentales, et de préjugés quant à ce qui est pertinent et important, et à ce qui ne l’est pas. Elle agit ainsi en imposant des règles que personne ne parvient à expliquer et par la manipulation de procédures bureaucratiques ». Certes, la génération que décrivait Ucko il y a un quart de siècle s’est peu à peu effacée et l’UISPP est de toute façon, comme la plupart des manifestations scientifiques, plus un lieu de rencontre et de réaffirmation identitaire qu’un lieu où la science se fait. Elle a donc son utilité.

             Postmodernisme et First Nations

Quant au WAC, depuis son congrès fondateur, il s’est tenu successivement à Barquisimeto au Venezuela, à New Dehli, au Cap (ville jumelée avec Nice au temps de l’apartheid) sous le patronage de Nelson Mandela, à Washington, à Dublin, et finalement en Jordanie – donc pour l’essentiel dans l’ex-empire britannique. Des colloques intermédiaires, avec des thèmes et dans des sous-ensembles géographiques particuliers, ont lieu régulièrement dans ce cadre. Les conditions de sa naissance, à la fois politiques et géographiques, ont dès le début et jusqu’à présent fortement influé sur les thématiques du WAC. Il a pris en outre son essor en même temps que le courant postmoderne (ou post-processuel) dans l’archéologie et l’anthropologie anglo-saxonne, lequel inclut souvent un certain relativisme scientifique, les démonstrations scientifiques se muant en simples « narratives », en « récits ».

Le politiquement correct anglo-saxon offre dans ce contexte, au sein du WAC, une place importante à la vision du monde des représentants des « First Nations », amérindiennes ou aborigènes, qui y sont beaucoup plus nombreux que dans la plupart des autres manifestation scientifiques. Or si leurs approches sont parfaitement respectables,  les génocides cyniques qu’ont eu à subir ces peuples ne sauraient être compensés par l’abandon des règles de la démarche scientifique – occidentale à l’origine certes et qui n’est qu’un point de vue sur le monde parmi d’autres – laquelle reste néanmoins la raison d’être des institutions académiques, de leurs membres et de leurs productions. C’est au nom de cette forme de repentance idéologique, que le musée de Melbourne a délaissé depuis plusieurs années, quant à l’archéologie de l’Australie, toute présentation chronologique, au profit du « Dream Time » intemporel des croyances aborigènes – et le musée de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie française, a adopté le même point de vue sur l’archéologie canaque. De même, faute de rendre aux peuples conquis leurs terres, sinon leurs richesses minières, il est de bon ton de leur restituer les objets archéologiques trouvés sur leur territoire, quelque soit leur ancienneté, et souvent juste pour les réenterrer en désordre – une démarche qui fut inaugurée jadis par le gouverneur de l’Etat de Californie, un certain Ronald Reagan.

S’il a été normal et juste de restituer à son peuple le corps de Saartije Baartman, la malheureuse « Venus hottentote », ou bien les têtes maoris exposées en trophées macabres dans nos musées, tel n’est pas le cas lorsque des restes humaines datent de plusieurs milliers d’années et possèdent une importante valeur scientifique, et moins encore quand il s’agit d’artefacts préhistoriques, dont le réenfouissement, certes cérémoniel, est une perte de connaissance pour toute l’humanité. D’autant que la filiation entre ces sociétés préhistoriques remontant à plusieurs millénaires et celles qui occupent actuellement le même territoire n’a rien d’évident, pas plus qu’entre la civilisation magdalénienne et la France d’aujourd’hui. Lorsque par exemple le linguiste indo-européaniste Jean Haudry, membre de la Nouvelle Droite et naguère du Front National, écrit : « la composition raciale de la France a très peu changé depuis le paléolithique supérieur », ce discours identitaire est clairement classable à l’extrême droite ; mais qu’en est-il si une continuité mythique analogue est cette fois revendiquée par des peuples opprimés ? On sent d’ailleurs poindre ça et là en Europe, dans le contexte du « XXIème siècle qui sera religieux ou ne sera pas », cette possible attitude nouvelle vis à vis des ossements anciens exhumés par les archéologues.

            Occupants et occupés, théories et pratiques

L’Assemblée Générale finale du WAC était éclairante quant à ces « correctes » visions anglo-saxonnes du monde. Un intervenant proposa que les membres du WAC s’interdisent toute recherche dans des « territoires occupés » (suivez son regard) ; ce à quoi un autre fit remarquer que cela s’appliquerait alors à l’intégralité du territoire états-unien, occupé par droit de conquête européenne, voire à l’intégralité des Amériques, de l’Australie et de l’Océanie, au moins. Il y eut d’ailleurs un débat comparable ces jours-ci à la Maison de l’Archéologie de Nanterre, à propos de la conférence d’une collègue chypriote turque sur un site de la zone turque. Le WAC de New Dehli avait été lui-même fortement perturbé par l’affaire d’Ayodhya : il se tenait en 1994, deux ans après qu’une mosquée du XVIe siècle avait été rasée par un groupe d’extrémistes hindouistes sous le prétexte qu’elle était construite sur l’emplacement d’un ancien temple hindou, lieu de naissance présumé du dieu Rama (les émeutes subséquentes avaient provoqué 2000 morts). A ceux qui souhaitaient condamner la destruction de l’antique mosquée, les extrémistes hindouistes rétorquaient qu’il fallait alors que le WAC condamne aussi les destructions commises par … les Mongols en Inde au XVIe siècle.

Sur un thème différent, un autre participant argua du bilan carbone accablant du WAC de 2013, qui faisait venir jusqu’en Jordanie près d’un millier d’archéologues du monde entier ; ne pouvait-on pas le remplacer par de simples vidéoconférences ? Il y eut aussi une discussion sur un « code d’éthique » du WAC. Cet autre concept typique de la culture anglo-saxonne, sinon protestante, est souvent exhibé comme un remède souverain face aux dérives de l’archéologie commerciale : il suffit d’adopter un tel « code d’éthique », assorti d’un inévitable « code de bonnes pratiques » pour que tout soit réglé. On se souvient peut-être que c’est ainsi que le patronat français avait proposé de régler la question des rémunérations disproportionnées, sinon délirantes, de ses dirigeants – sans beaucoup de succès, d’ailleurs. Mais, paradoxe, dans la culture postmoderne du WAC, il ne saurait y avoir un seul « code d’éthique », qui risquerait forcément d’être occidental et ethnocidaire. Il y aura donc une pluralité de codes d’éthique.

Il est certes facile d’ironiser, de notre propre point du vue cartésien, à vocation forcément universelle, sur ces dérives. Le danger de ces approches postmodernes est en effet de réduire l’archéologie à une sorte de science molle sans contraintes, où chacun pourrait parler de tout. Mais d’une part on assiste à la fin de ce courant intellectuel, du moins en archéologie et en anthropologie sociale, qui n’aura régné que la durée usuelle d’une génération. Et d’autre part, cela ne justifie pas que l’archéologie se cantonne symétriquement dans des visions purement descriptives et classificatoires, comme cela a été trop souvent le cas en Europe continentale. La chance géopolitique de l’archéologie française est sans doute de se trouver à mi-chemin, dans une « continental insularity » comme l’avait naguère définie Françoise Audouze et André Leroi-Gourhan, entre une archéologie de tradition « germanique » avec beaucoup de données et peu d’idées et d’interprétations, et une tradition hypermodélisatrice anglo-saxonne, où l’attention aux données passe souvent au second plan.

            De l’archéologie et du commerce

L’intérêt porté par des manifestations scientifiques comme le WAC sur la fonction sociale de l’archéologie et sur ses enjeux idéologiques s’illustre en particulier dans l’extrême attention porté aux problèmes de la conservation du patrimoine, à sa mise en valeur et à sa diffusion auprès du public. Ce qui implique aussi des débats sur l’archéologie commerciale privée, telle que la pratiquent certains pays. Curieusement, beaucoup d’archéologues anglo-saxons, si attentifs par ailleurs au poids des idéologies sur la pratique de leur discipline, n’ont aucun recul par rapport à l’archéologie commerciale et à ses dérives, tant  ils vivent dans un monde marqué par trois décennies d’ultralibéralisme, et où l’Etat a de toute façon une signification et une valeur bien différentes que pour les citoyens des nations de droit latin. Il est vrai que, même dans le monde anglo-saxon, des critiques se sont élevées, comme celles de nos collègues britanniques Christopher Cumberpatch et Paul Blinkhorn, par exemple sur différents forums de discussion.

C’est donc, pour l’essentiel, des pays non anglo-saxons qui expriment des critiques argumentées. Ainsi notre collègue Marcia Bezerra, vice-présidente de la Société brésilienne d’archéologie (Sociedade de Arqueologia Brasileira), dressa lors d’une session de ce WAC un tableau instructif et accablant des ravages causés par la généralisation de l’archéologie commerciale au Brésil, des propos qui éclaireraient nos propres débats français. Dans une communication faite cette fois à l’université de Buffalo aux Etats-Unis, lors d’un colloque consacré en juin 2012 à « The Future of Heritage », c’est notre collègue Arek Marciniak qui avait présenté un réquisitoire comparable pour l’archéologie polonaise, laquelle avait pourtant été dans les années 1960-1970 un modèle reconnu, au point d’influencer l’archéologie française dans ses méthodes.

Ces deux textes mériteraient effectivement, parmi d’autres, de nourrir les réflexions actuelles des archéologues français, car ils sont l’illustration bien réelle d’un scénario-catastrophe annoncé de longue date. Je renvoie également, pour un historique de l’archéologie préventive en Europe, sur mon article paru récemment dans la Annual Review of Anthropology, volume 41, 2012, p. 611-626 : « Rescue Archaeology : A European View » (http://www.annualreviews.org/doi/abs/10.1146/annurev-anthro-092611-145854). Et pour la situation actuelle, à nouveau au volume en ligne publié en 2010 par Nathan Schlanger et Kenneth Aitchinson dans le cadre du projet européen « Archaeology in Contemporary Europe » : Archaeology and the Global Economic Crisis. Multiple Impacts, Possible Solutions : http://ace-archaeology.eu/fichiers/25Archaeology-and-the-crisis.pdf

4 Comments

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Retour vers le passé –reply
23 septembre 2014 at 9 h 53 min

[…] Lisbonne en 2005, Florianopolis au Brésil en 2010, et avant Melbourne en 2017 (cf, sur ce blog : http://www.jeanpauldemoule.com/larcheologie-des-autres/). Le lieu de cette rencontre, consacrée pour l’essentiel aux recherches paléolithiques (mais on […]

JALLOTreply
3 mars 2013 at 10 h 48 min

Ces questions me paraissent essentielles et je suis heureux de constater que les chercheurs sont capables de sortir de leurs séminaires ultrarégionalistes -qui peuvent aussi avoir une justification- pour s’ouvrir à un monde global, dans lequel, depuis toujours, ils jouent un rôle important, quoi que mal connu. Je suis effaré de constater d’une discipline historique qui devrait ouvrir les consciences sur la richesse des constructions culturelles soit toujours utilisée comme un outil de propagande. Propagande pour une revendication à la profondeur identitaire; alors même que les recherches archéologiques démontrent le brassage constant des influences culturelles et la complexité des processus qui conduisent à la formation des sociétés étatiques. Infantilisation du discours qui ramène la richesse des hypothèses à des concepts vulgaires et populistes, souvent alimentés par des croyances sectaires. Où nous devrions contempler « le chatoiement des sociétés », comment lui préférer la réduction à des prises de position infantiles. L’obscurantisme en matière d’archéologique est gouverné par deux mauvais génies : la commercialisation des sciences du passé, lorsqu’elle ne connait comme limite déontologique que la règle du profit immédiat et la politique des états lorsque les résultats des recherches deviennent la justification (plutôt que l’enjeu) d’une revendication identitaire ou nationaliste.

Remarquons dans le premier cas que l’on pense d’abord à la création d’une archéologie de droit privée, mais que celle-ci n’est néfaste -en théorie!-pour la recherche que si elle s’émancipe du contrôle des institutions et de leurs commissions ad hoc (le CNRA en France). Mais qu’on oublie souvent les fouilles archéologiques pour personnes riches et avides de sensations fortes existent dans des territoires exotiques (Île de Pâques,…) ou en Europe (Portugal, Belgique,…) pour combler l’absence de financements ou pas, sur des sites prestigieux ou pas.

Concernant la revendication identitaire, la question est loin d’être simple. Le ridicule de l’enfouissement cérémoniel d’artéfacts préhistorique ne peut être confondu avec la reconnaissance d’une capacité d’un état à légiférer sur son propre passé. L’utopie du peuplement indoeuropéen a été à l’origine d’une dérive gravissime dont nous subissons toujours les conséquences. Les propagateurs de cette pensée naïve savaient pertinemment qu’elle serait immédiatement comprise, et adoptée : pour preuve la multiplication des discours et sites para-archéologiques qui parcourent la toile. C’est presque naturellement que l’on a manipulé la notion de profondeur historique. Là où il s’agissait de montrer sa capacité à gérer les données du passé et à construire une histoire séquentielle marquée de solutions de continuité, rendant compte de la complexité des filiations culturelles, on a tracé une voie unilinéaire, niant finalement l’histoire et servant à revendiquer, en remontant le plus loin possible, le droit au sol. Une nation moderne et démocratique devrait être capable de recevoir cet héritage et d’accepter l’édification multiculturelle de son identité actuelle. Est-ce possible? La question est compliquée et mérite un débat.

Le principe d’une archéologie colonialiste a fait cette année l’objet d’un débat intéressant avec des étudiants du Master d’Archéologie préventive de l’Université de Montpellier 3. Fouillant à l’étranger, je reste particulièrement attentif aux réflexions sur ce thème. Les étudiants évoquaient leur expérience de fouilleurs au sein de mission française. Leur regard porte essentiellement sur le rapport entre les archéologues français et les fouilleurs autochtones, leur condition de vie, selon une forme de dramaturgie opposant des possédants et des démunis. Le bien fondé de l’action scientifique en revanche n’est pas été évoquée. A tel point, qu’au delà de la légitime revendication à l’égalité inscrite dans notre constitution, je me suis demandé si ce discours n’était pas une sorte de catharsis face à la difficulté d’émettre un discours politique cohérent dans une France en récession économique. Par ailleurs, je leur faisais remarquer qu’on oublie un peu facilement, que le savant est toujours colon chez lui ou ailleurs; que l’on ne détient un savoir que sur le dos des autres. Certes, pour un archéologue français, les implications peuvent paraître moins graves dans la Sarthe qu’au Sénégal. Ce n’est pas seulement une question de point de vue, c’est aussi une question de règle. Dans les pays, où une réglementation réelle existe pour la protection du patrimoine, le chercheur étranger doit se conformer à des exigences qu’il ne dicte pas. On sait, combien, ces exigences sont fortes et contraignantes, dans des pays comme l’Egypte ou l’Ethiopie. Aussi la travail y est-il particulièrement encadré et les règlements à respecter nombreux. On me faisait remarquer, que ceci ne modifiait pas nécessairement notre comportement. Le problème dans ce cas relève de l’éthique et donc de la personnalité du chercheur -il se pose aussi en France, même si l’implication n’est pas la même. On me faisait remarquer que travailler dans un pays soumis à un régime autoritaire ou dans une dictature devrait également poser un problème moral. Même chose dans les pays exerçant une politique coloniale; le débat concernait une étudiante ayant fouillé en Israël. Un tel choix limite considérablement les options de fouilles. Je remarque, que la question se pose moins pour eux, s’il s’agit d’enseigner en Chine, au Maroc ou de partir travailler pour une firme française. Comme quoi, l’archéologie, c’est bien autre-chose ; la conscience d’une forme de pillage culturel et d’une manipulation possible de l’histoire est toujours sous-jacente. On peut toujours justifier l’archéologie dans les pays pauvres en arguant de la formation d’archéologues autochtones dans nos universités. Hypocritement alors, car l’on sait bien que la plupart n’auront aucun débouché dans leur pays, sauf s’ils sont déjà en poste. Plus prosaïquement, certains archéologues opérant dans des pays pauvres, seraient moins attirés par la richesse patrimoniale d’un passé, qui franchement n’est pas toujours au rendez-vous, que par la liberté que procure une archéologie libérée des incessantes limites administratives et financières qui contraignent le déroulement des programmes de recherche- possible bien sûr dans les pays où le tourisme archéologique n’a pas généré une bureaucratie écrasante. Là aussi le débat est loin d’être clos.

Retour du 7e World Archaeological Congress en Jordanie : participer ou non aux “grands-messes” du type UISPP, Icaane, WAC, ASOR, AIA ?… | ArchéOrient – Le Blogreply
8 février 2013 at 10 h 16 min

[…] Dans la seconde catégorie, j’étais désireux d’assister à certaines sessions sur l’éthique, la politique, le management du patrimoine. Je dois dire que certaines interventions m’ont fait frémir par  leur parti-pris de politiquement correct à sens unique, le tout noyé dans un discours naïf et généralisant : tir à boulets rouges sur les anciennes puissances coloniales, mais simultanément condescendance avec l’emploi du terme indigenous (pour désigner les populations « primitives ») plutôt que de native ou aborigines, condescendance illustrée par l’invitation d’indigenous d’Australie dont l’exhibition évoque les bonnes dames patronnesses de Jacques Brel ‘qui tricotent en vert caca d’oie pour que le dimanche à la grand-messe on reconnaisse ses pauvres à soi’… Mais sur ce dernier point, les organisateurs (essentiellement nord-américains et australiens) ont été brocardés avec beaucoup d’humour dans le discours inaugural du prince Hassan (oncle du roi Abdallah II). Des sessions portant par exemple sur l’archéologie et le nationalisme, ou sur “Archaeology and business: opportunity or challenge?” abordaient des sujets de société. Je n’insisterai pas plus sur ces aspects du colloque car je n’ai personnellement que très partiellement suivi les sessions correspondantes, abordées dans le blog de J.-P. Demoule. […]

Jean-Paul Demoulereply
8 février 2013 at 15 h 30 min
– In reply to: Retour du 7e World Archaeological Congress en Jordanie : participer ou non aux “grands-messes” du type UISPP, Icaane, WAC, ASOR, AIA ?… | ArchéOrient – Le Blog

Eric Coqueugniot a parfaitement raison d’attirer notre attention sur la faible présence des archéologues français dans les grandes réunions scientifiques internationales – il cite l’UISPP, l’Icaane, l’ASOR, l’AIA, et donc le World Archaeological Congress. On pourrait ajouter l’Association Européenne des Archéologues (EAA), où la présence française est également très faible, si l’on excepte l’année où son congrès eut lieu en France, à Lyon (en 2004). Sans compter le congrès annuel de la Society for American Archaeology, qui réunit chaque année dans une ville américaine différente plus de 3000 archéologues du monde entier, sur des problématiques aussi bien locales que transversales. On entend parfois que l’impérialisme linguistique de l’anglais en rebuterait certains, nos compatriotes n’étant pas réputés pour leur aptitude aux langues étrangères. Mais cet « impérialisme » est un fait désormais acquis, même si l’on peut garder la nostalgie des colloques d’il y a vingt ou trente ans, lorsque coexistaient encore quatre ou cinq langues de communication. La fameuse loi Toubon de 1994 et les directives du Ministère des affaires étrangères n’y ont rien pu. Certes, cet anglais international (« globish », ou « global english ») est une langue très appauvrie, qui n’est guère faite pour les nuances, et les seuls qu’on a parfois du mal à comprendre sont les anglophones natifs, qui parlent trop vite et trop bien. Mais c’est un fait (en attendant le chinois ?). On peut objecter aussi que ces « grands-messes » sont justement trop grandes, et leur préférer de petits colloques ciblés avec une participation triée. Elles font néanmoins partie, partout dans le monde globalisé, du fonctionnement social des sciences. A s’en exclure, c’est aussi en exclure à terme nos problématiques, nos idées, notre conception de la recherche, et en définitive nos étudiants. Il est significatif que, particulièrement en histoire et en archéologie, la plupart des confortables crédits de recherche de l’Union européenne, distribués via le European Research Council, aillent en grande majorité aux universités britanniques et apparentées (Scandinavie, Pays-Bas), et fort rarement à des laboratoires français.

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